V.
Van Campenhout
On
parle de plus en plus chez les astronomes amateurs de l'observation avec
des caméras dites CCD qui remplacent déjà depuis
longtemps dans les grands observatoires les pellicules photos.
Voilà un an, quelques observateurs du GAS se sont lancés
dans l'aventure. En plus d'avoir construit deux, puis quatre caméras,
ils prennent maintenant régulièrement des images de grande
qualité.
La façon de prendre et de "révéler" les
images est tout à fait différente. Voici un texte qui permettra
de mieux comprendre les techniques de l'observation et du traitement des
images CCD.
A. Déroulement
d'une observation du ciel profond
avec une caméra CCD Audine
Mettre le
télescope en station (axe de la monture en direction du Nord) le
plus précisément possible. C'est cela qui va déterminer
les plus longs temps d'intégration possibles sur les objets visés.
Dans le cas de ma configuration - un télescope Vixen de 200 mm
à F/4 (800 mm de focale) avec monture GP-DX et chip CCD KAF400
avec des pixels de 9 mm - le mieux que je puisse obtenir ce sont des poses
de 45 sec. Au-delà, les étoiles sont "filées".
Réglez parfaitement le chercheur, sinon vous perdrez beaucoup de
temps pour centrer les objets sur le CCD ! Celui-ci est en effet très
petit et couvre donc également un champ de très petite taille.
A l'aide d'un oculaire de grossissement moyen, faire une première
mise au point sur une étoile pas trop brillante (de magnitude 6
à 8).
Fixer ensuite la caméra au foyer du télescope et installer
tout le matériel nécessaire pour son bon fonctionnement
: le PC portable avec la connexion vers la caméra, l'alimentation
électrique, une table et une chaise, une lampe, etc.
Après cette préparation, démarrer le programme informatique
qui gère la caméra et va permettre de prendre les images.
Dans notre cas, nous utilisons "Pisco", le programme spécialement
développé pour la caméra Audine. Lancer une première
exposition de 5 à 10 secondes sur le ciel étoilé.
A l'aide de la fenêtre "Focalisation" du programme, choisir
une étoile de faible magnitude dans le champ de l'image et faire
la mise au point le plus précisément possible. Il s'agit
d'une étape difficile mais qui est primordiale pour obtenir des
images de qualité. Il faut que les étoiles aient le meilleur
"piqué" possible. Pour juger quantitativement cela, on
détermine avec Pisco la largeur à mi-hauteur (exprimée
en pixels) de l'étoile (valeur appelée dans le jargon des
spécialistes FWHM ) dans les directions x et y. Ces valeurs diminuent
(c'est-à-dire que l'étoile devient moins étalée,
donc plus piquée, plus nette) lorsque la mise au point s'améliore.
Il y a un moment où ces valeurs cessent de diminuer et se stabilisent
plus ou moins (il y a toujours des fluctuations autour d'une valeur moyenne
à cause de la turbulence) . On a atteint la meilleure mise au point
possible en fonction de l'optique de l'instrument et des qualités
du ciel. Les valeurs sont habituellement dans nos régions de plaine
autour de 3 à 4'' (arcsec). Notons que pour une combinaison télescope
+ CCD optimale (pour avoir ce qu'on appelle un échantillonnage
optimal des images), ces valeurs de FWHM seront autour de 2 pixels.
Choisir sa cible dans le ciel : par exemple une galaxie. Pointage au chercheur
si elle est suffisamment brillante, sinon aux coordonnées. Démarrer
une acquisition pour voir si l'objet désiré se trouve bien
sur l'image. On pourra également se rendre compte de la qualité
de la mise en station et, si cette dernière est très bonne,
on pourra augmenter le temps de pose. Choisissez le plus long temps de
pose qui vous donne toujours les étoiles bien rondes.
Si l'objet est là, lancer une série d'acquisition d'images,
une dizaine habituellement. Elles seront recombinées par la suite
pour améliorer le résultat final (voir dans un prochain
article). Poursuivez votre nuit d'observation en pointant vos objets les
uns après les autres. Il faudra probablement refaire la mise au
point à différentes reprises.
Pour avoir
des images de qualité, il est cependant nécessaire de "calibrer"
les images. C'est-à-dire de corriger les images de différents
problèmes inhérents à la technique d'observation
CCD. Cela se fait à l'aide d'images spéciales dites
de " calibration " :
- l'offset
(ou biais),
- le
noir (ou "dark"),
- l'image
de PLU pour plage de lumière uniforme et plus souvent appelée
flat field ou "flat".
Ces images
(en fait, on prend une douzaine d'images dans chaque cas) seront prises,
si possible, en début ou en fin de nuit.
Les jours de pluies, une étape importante peut commencer, c'est
le "prétraitement", par ordinateur, des images acquises
au cours de la nuit.
B. Les bases
du traitement des images CCD : le prétraitement
Comme nous
l'avons déjà souligné, toute image CCD demande un
prétraitement informatique de façon à éliminer
certains défauts dus au capteur CCD de la caméra et aussi
engendrés par l'optique du télescope. Ces traitements sont
indispensables pour avoir une image de qualité, jolie au regard,
mais aussi, et surtout, pour permettre de faire par la suite une analyse
scientifique - comme, par exemple, mesurer la position d'un astéroïde
(astrométrie), la magnitude d'une étoile variable (photométrie),
etc. - de qualité.
Il existe
une "formule" générale pour le prétraitement
:
Image
prétraitée = |
Image
brute - Image du noir
Image de PLU - Image du noir
|
Passons
en revue les différentes images de calibration :
1. Le
noir :
Le noir
ou le dark , est une image que l'on réalise avec l'obturateur de
la caméra fermé. Il doit être pris dans les mêmes
conditions que l'image brute : c'est-à-dire à la même
température et avec le même temps de pose. Son rôle
est de corriger l'image brute des effets dus à la température
sur le CCD. C'est la première correction.
Le
"noir" est soustrait de toutes les images brutes (aussi
des flats) |
En effet,
en plus des électrons générés dans le capteur
CCD lorsqu'un photon (élément de lumière) arrive
de l'objet observé, le capteur a aussi la fâcheuse tendance
à capturer des électrons qu'il génère lui-même
à cause de la chaleur (des électrons libérés
de leurs atomes par l'agitation thermique). Ces électrons "parasites"
vont en quelque sorte brouiller l'image d'autant plus que tous les pixels
du CCD (les petits éléments de résolution du CCD)
produisent des quantités différentes de ces électrons
parasites. Cela donne ainsi à une image prise dans le noir (sans
lumière) un aspect "poivre et sel", c'est-à-dire
une image avec de nombreux points blancs comme des parasites sur une image
de télévision, plutôt qu'une image totalement noire
que l'on se serait attendu à voir.
Voici un
exemple d'une image du noir (obturateur fermé) réalisée
avec une caméra Audine à une température du CCD de
-19 C° et avec un temps de pose de 1 minute.
Note : c'est pour diminuer cette contamination par les électrons
dits thermiques que l'on refroidit les CCD astronomiques le plus possible.
Les caméras des amateurs sont typiquement refroidies de 30°
en dessous de la température ambiante (à l'aide d'un petit
composant électronique appelé "pelletier") alors
que celles utilisées dans les observatoires professionnels sont
refroidies à l'azote liquide (-196°C). Dans ce dernier cas,
la contamination est très faible.
2) L'image
de précharge
L'image
de précharge ou offset (ou encore "biais") est une image
qui ne dépend pas de la température ni du temps de pose.
Il s'agit d'un signal (normalement) constant ajouté par l'électronique
du CCD. Elle est réalisée l'obturateur fermé et avec
le temps de pose le plus court possible (0s : le CCD est juste lu). Il
n'est pas nécessaire de la refaire chaque nuit.
L'offset doit être soustrait de toutes les images.
Note : étant donné que le dark contient déjà
(comme toutes les images) l'offset, l'offset sera automatiquement soustrait
quand on soustrait le dark.
Les offsets sont cependant utiles quand on veut déterminer les
caractéristiques du CCD (voir dans un prochain article) mais aussi
diagnostiquer la santé du CCD.
Voici un exemple d'une image de précharge qui révèle
un certain nombre de colonnes défectueuses. Comme on peut le voir,
le signal de l'offset est en effet pratiquement constant partout (on a
le même signal dans tous les pixels de l'image : l'image est "plate").
3) La
plage de lumière uniforme (PLU) ou flat field
La plage
de lumière uniforme ou le flat field permet de corriger des imperfections
de l'image comme le vignettage dû à l'optique du télescope
et des accessoires utilisés (comme un réducteur de focale)
ainsi que les poussières présentes sur les optiques (principalement
la fenêtre du CCD). Mais elle permet également de corriger
les variations de sensibilité de pixel à pixel. Tous les
pixels n'ont, en effet, pas exactement la même taille ou la même
qualité, ce qui entraîne pour chacun d'eux d'être plus
ou moins sensible à la lumière. La différence est
généralement très petite mais néanmoins importante
si l'on veut remonter au véritable flux envoyé par l'objet
observé.
Le
flat field, dont on doit avoir au préalable retiré le
dark,
est divisé de l'image brute corrigée du dark. |
Voici un
exemple de flat field pris au foyer du télescope.
Les taches noires en forme d'anneau sont les images défocalisées
de poussières présentes sur le hublot du CCD. On notera
également le fort vignettage (le foyer n'est pas uniformément
éclairé) : l'image est bien plus brillante au centre que
vers les bords.
Note : On
réalise les "flats" en observant une zone uniformément
éclairée : par exemple le ciel bleu (près du zénith
si possible) ou un écran éclairé uniformément.
On veillera à atteindre un bon signal dans l'image mais à
ne pas saturer le CCD.
Attention de faire l'image dans la même position de mise au point
que celle utilisée sur le ciel !
Si des filtres sont utilisés, il faut faire des flats dans chaque
filtre et corriger les images prises avec un filtre donné avec
les flats correspondants.
Pour bien faire, l'image de PLU doit être prise juste avant ou après
chaque nuit d'observation car les poussières peuvent changer de
place. Cependant, comme cela prend du temps, on peut se contenter de refaire
une bonne image de PLU une fois par mois.
4) Mise
en pratique
Dans ce
qui suit, nous montrons les différentes étapes du prétraitement
et son intérêt même pour le simple aspect visuel des
images.
Nous allons
réaliser les différentes étapes de la "réduction"
sur une image de la galaxie M108 de la Grande Ourse prise au foyer d'un
télescope Newton à l'aide d'une caméra Audine et
un temps de pose de 1 minute. Ces différentes étapes se
font sur ordinateur à l'aide d'un programme de traitement d'images
prévu à cet effet. Dans ce cas il s'agit du programme français
PRISM98.
L'image précédente est l'image brute telle qu'elle est apparue
sur l'écran de l'ordinateur lors de la prise de vue.
On remarquera l'aspect "poivre et sel" déjà décrit
et résultat du bruit thermique. Pour corriger ce premier défaut,
il suffit de soustraire à cette image, l'image du noir. Attention,
le dark doit avoir le même temps de pose que l'image à corriger
et doit être pris à la même température.
Après soustraction, voici ce qu'est devenue l'image brute :
Le brouillage thermique a disparu !
L'image
n'est cependant pas encore parfaite. Ses bords sont plus sombres que le
centre. C'est un effet typique de vignettage dû à l'optique.
Pour éliminer cet effet indésirable, on va diviser l'image
précédente par l'image de PLU (corrigée au préalable
du dark correspondant). Voici le résultat ci après.
On récupère
alors une image propre avec un fond bien uniforme et montrant des détails
difficilement visibles auparavant.
De plus, les variations de pixel à pixel ont également été
corrigées.
Pour une
meilleure présentation, on pourra encore faire subir à l'image
des traitements ultérieurs comme le passage dans des "filtres"
(algorithmes) pour faire apparaître des détails, lisser l'image,
régler le contraste/luminosité de l'objet.
L'image finale
Cette démarche
sera appliquée à toutes les images individuelles. Elles
seront ensuite "réalignées" puis additionnées
pour fournir une image finale moins bruitée.
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