La technique CCD

V. Van Campenhout

On parle de plus en plus chez les astronomes amateurs de l'observation avec des caméras dites CCD qui remplacent déjà depuis longtemps dans les grands observatoires les pellicules photos.
Voilà un an, quelques observateurs du GAS se sont lancés dans l'aventure. En plus d'avoir construit deux, puis quatre caméras, ils prennent maintenant régulièrement des images de grande qualité.
La façon de prendre et de "révéler" les images est tout à fait différente. Voici un texte qui permettra de mieux comprendre les techniques de l'observation et du traitement des images CCD.

A. Déroulement d'une observation du ciel profond
    avec une caméra CCD Audine

Mettre le télescope en station (axe de la monture en direction du Nord) le plus précisément possible. C'est cela qui va déterminer les plus longs temps d'intégration possibles sur les objets visés. Dans le cas de ma configuration - un télescope Vixen de 200 mm à F/4 (800 mm de focale) avec monture GP-DX et chip CCD KAF400 avec des pixels de 9 mm - le mieux que je puisse obtenir ce sont des poses de 45 sec. Au-delà, les étoiles sont "filées".
Réglez parfaitement le chercheur, sinon vous perdrez beaucoup de temps pour centrer les objets sur le CCD ! Celui-ci est en effet très petit et couvre donc également un champ de très petite taille.
A l'aide d'un oculaire de grossissement moyen, faire une première mise au point sur une étoile pas trop brillante (de magnitude 6 à 8).
Fixer ensuite la caméra au foyer du télescope et installer tout le matériel nécessaire pour son bon fonctionnement : le PC portable avec la connexion vers la caméra, l'alimentation électrique, une table et une chaise, une lampe, etc.
Après cette préparation, démarrer le programme informatique qui gère la caméra et va permettre de prendre les images. Dans notre cas, nous utilisons "Pisco", le programme spécialement développé pour la caméra Audine. Lancer une première exposition de 5 à 10 secondes sur le ciel étoilé.
A l'aide de la fenêtre "Focalisation" du programme, choisir une étoile de faible magnitude dans le champ de l'image et faire la mise au point le plus précisément possible. Il s'agit d'une étape difficile mais qui est primordiale pour obtenir des images de qualité. Il faut que les étoiles aient le meilleur "piqué" possible. Pour juger quantitativement cela, on détermine avec Pisco la largeur à mi-hauteur (exprimée en pixels) de l'étoile (valeur appelée dans le jargon des spécialistes FWHM ) dans les directions x et y. Ces valeurs diminuent (c'est-à-dire que l'étoile devient moins étalée, donc plus piquée, plus nette) lorsque la mise au point s'améliore. Il y a un moment où ces valeurs cessent de diminuer et se stabilisent plus ou moins (il y a toujours des fluctuations autour d'une valeur moyenne à cause de la turbulence) . On a atteint la meilleure mise au point possible en fonction de l'optique de l'instrument et des qualités du ciel. Les valeurs sont habituellement dans nos régions de plaine autour de 3 à 4'' (arcsec). Notons que pour une combinaison télescope + CCD optimale (pour avoir ce qu'on appelle un échantillonnage optimal des images), ces valeurs de FWHM seront autour de 2 pixels.
Choisir sa cible dans le ciel : par exemple une galaxie. Pointage au chercheur si elle est suffisamment brillante, sinon aux coordonnées. Démarrer une acquisition pour voir si l'objet désiré se trouve bien sur l'image. On pourra également se rendre compte de la qualité de la mise en station et, si cette dernière est très bonne, on pourra augmenter le temps de pose. Choisissez le plus long temps de pose qui vous donne toujours les étoiles bien rondes.
Si l'objet est là, lancer une série d'acquisition d'images, une dizaine habituellement. Elles seront recombinées par la suite pour améliorer le résultat final (voir dans un prochain article). Poursuivez votre nuit d'observation en pointant vos objets les uns après les autres. Il faudra probablement refaire la mise au point à différentes reprises.

Pour avoir des images de qualité, il est cependant nécessaire de "calibrer" les images. C'est-à-dire de corriger les images de différents problèmes inhérents à la technique d'observation CCD. Cela se fait à l'aide d'images spéciales dites de " calibration " :

  • l'offset (ou biais),
  • le noir (ou "dark"),
  • l'image de PLU pour plage de lumière uniforme et plus souvent appelée flat field ou "flat".

Ces images (en fait, on prend une douzaine d'images dans chaque cas) seront prises, si possible, en début ou en fin de nuit.
Les jours de pluies, une étape importante peut commencer, c'est le "prétraitement", par ordinateur, des images acquises au cours de la nuit.


B. Les bases du traitement des images CCD : le prétraitement

Comme nous l'avons déjà souligné, toute image CCD demande un prétraitement informatique de façon à éliminer certains défauts dus au capteur CCD de la caméra et aussi engendrés par l'optique du télescope. Ces traitements sont indispensables pour avoir une image de qualité, jolie au regard, mais aussi, et surtout, pour permettre de faire par la suite une analyse scientifique - comme, par exemple, mesurer la position d'un astéroïde (astrométrie), la magnitude d'une étoile variable (photométrie), etc. - de qualité.

Il existe une "formule" générale pour le prétraitement :

Image prétraitée =
Image brute - Image du noir

Image de PLU - Image du noir

Passons en revue les différentes images de calibration :

1. Le noir :

Le noir ou le dark , est une image que l'on réalise avec l'obturateur de la caméra fermé. Il doit être pris dans les mêmes conditions que l'image brute : c'est-à-dire à la même température et avec le même temps de pose. Son rôle est de corriger l'image brute des effets dus à la température sur le CCD. C'est la première correction.

Le "noir" est soustrait de toutes les images brutes (aussi des flats)

En effet, en plus des électrons générés dans le capteur CCD lorsqu'un photon (élément de lumière) arrive de l'objet observé, le capteur a aussi la fâcheuse tendance à capturer des électrons qu'il génère lui-même à cause de la chaleur (des électrons libérés de leurs atomes par l'agitation thermique). Ces électrons "parasites" vont en quelque sorte brouiller l'image d'autant plus que tous les pixels du CCD (les petits éléments de résolution du CCD) produisent des quantités différentes de ces électrons parasites. Cela donne ainsi à une image prise dans le noir (sans lumière) un aspect "poivre et sel", c'est-à-dire une image avec de nombreux points blancs comme des parasites sur une image de télévision, plutôt qu'une image totalement noire que l'on se serait attendu à voir.

Voici un exemple d'une image du noir (obturateur fermé) réalisée avec une caméra Audine à une température du CCD de -19 C° et avec un temps de pose de 1 minute.


Note : c'est pour diminuer cette contamination par les électrons dits thermiques que l'on refroidit les CCD astronomiques le plus possible. Les caméras des amateurs sont typiquement refroidies de 30° en dessous de la température ambiante (à l'aide d'un petit composant électronique appelé "pelletier") alors que celles utilisées dans les observatoires professionnels sont refroidies à l'azote liquide (-196°C). Dans ce dernier cas, la contamination est très faible.

2) L'image de précharge

L'image de précharge ou offset (ou encore "biais") est une image qui ne dépend pas de la température ni du temps de pose.
Il s'agit d'un signal (normalement) constant ajouté par l'électronique du CCD. Elle est réalisée l'obturateur fermé et avec le temps de pose le plus court possible (0s : le CCD est juste lu). Il n'est pas nécessaire de la refaire chaque nuit.
L'offset doit être soustrait de toutes les images.
Note : étant donné que le dark contient déjà (comme toutes les images) l'offset, l'offset sera automatiquement soustrait quand on soustrait le dark.
Les offsets sont cependant utiles quand on veut déterminer les caractéristiques du CCD (voir dans un prochain article) mais aussi diagnostiquer la santé du CCD.
Voici un exemple d'une image de précharge qui révèle un certain nombre de colonnes défectueuses. Comme on peut le voir, le signal de l'offset est en effet pratiquement constant partout (on a le même signal dans tous les pixels de l'image : l'image est "plate").



3) La plage de lumière uniforme (PLU) ou flat field

La plage de lumière uniforme ou le flat field permet de corriger des imperfections de l'image comme le vignettage dû à l'optique du télescope et des accessoires utilisés (comme un réducteur de focale) ainsi que les poussières présentes sur les optiques (principalement la fenêtre du CCD). Mais elle permet également de corriger les variations de sensibilité de pixel à pixel. Tous les pixels n'ont, en effet, pas exactement la même taille ou la même qualité, ce qui entraîne pour chacun d'eux d'être plus ou moins sensible à la lumière. La différence est généralement très petite mais néanmoins importante si l'on veut remonter au véritable flux envoyé par l'objet observé.

Le flat field, dont on doit avoir au préalable retiré le dark,
est divisé de l'image brute corrigée du dark.

Voici un exemple de flat field pris au foyer du télescope.


Les taches noires en forme d'anneau sont les images défocalisées de poussières présentes sur le hublot du CCD. On notera également le fort vignettage (le foyer n'est pas uniformément éclairé) : l'image est bien plus brillante au centre que vers les bords.

Note : On réalise les "flats" en observant une zone uniformément éclairée : par exemple le ciel bleu (près du zénith si possible) ou un écran éclairé uniformément. On veillera à atteindre un bon signal dans l'image mais à ne pas saturer le CCD.
Attention de faire l'image dans la même position de mise au point que celle utilisée sur le ciel !
Si des filtres sont utilisés, il faut faire des flats dans chaque filtre et corriger les images prises avec un filtre donné avec les flats correspondants.
Pour bien faire, l'image de PLU doit être prise juste avant ou après chaque nuit d'observation car les poussières peuvent changer de place. Cependant, comme cela prend du temps, on peut se contenter de refaire une bonne image de PLU une fois par mois.

4) Mise en pratique

Dans ce qui suit, nous montrons les différentes étapes du prétraitement et son intérêt même pour le simple aspect visuel des images.

Nous allons réaliser les différentes étapes de la "réduction" sur une image de la galaxie M108 de la Grande Ourse prise au foyer d'un télescope Newton à l'aide d'une caméra Audine et un temps de pose de 1 minute. Ces différentes étapes se font sur ordinateur à l'aide d'un programme de traitement d'images prévu à cet effet. Dans ce cas il s'agit du programme français PRISM98.


L'image précédente est l'image brute telle qu'elle est apparue sur l'écran de l'ordinateur lors de la prise de vue.
On remarquera l'aspect "poivre et sel" déjà décrit et résultat du bruit thermique. Pour corriger ce premier défaut, il suffit de soustraire à cette image, l'image du noir. Attention, le dark doit avoir le même temps de pose que l'image à corriger et doit être pris à la même température. Après soustraction, voici ce qu'est devenue l'image brute :
Le brouillage thermique a disparu !

L'image n'est cependant pas encore parfaite. Ses bords sont plus sombres que le centre. C'est un effet typique de vignettage dû à l'optique.
Pour éliminer cet effet indésirable, on va diviser l'image précédente par l'image de PLU (corrigée au préalable du dark correspondant). Voici le résultat ci après.

On récupère alors une image propre avec un fond bien uniforme et montrant des détails difficilement visibles auparavant.
De plus, les variations de pixel à pixel ont également été corrigées.

Pour une meilleure présentation, on pourra encore faire subir à l'image des traitements ultérieurs comme le passage dans des "filtres" (algorithmes) pour faire apparaître des détails, lisser l'image, régler le contraste/luminosité de l'objet.


L'image finale

Cette démarche sera appliquée à toutes les images individuelles. Elles seront ensuite "réalignées" puis additionnées pour fournir une image finale moins bruitée.